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l’humanité, et tout en élevant ses énergies à la puissance mille, elle est moins créatrice qu’une simple action humaine ou qu’une idée créatrice. De la technicisation extérieure ne peut résulter une véritable transformation de notre humanité, celle-ci peut seulement résulter de l’esprit et de la volonté passionnée d’arriver à une meilleure entente entre les hommes. Cessons enfin de confondre la force extérieure avec l’efficience créatrice et, pour important et hygiénique que soit le sport, gardons-nous de voir un héros dans celui qui bat le record de l’année, rappelons-nous toujours que si un nageur arrive à parcourir une certaine distance dans l’eau en deux secondes de moins qu’on ne l’a fait avant lui, cela ne fait pas avancer d’un pouce le progrès moral de l’humanité : l’intérêt excessif pour la force physique conduit à l’amour de la force, et l’amour de la force conduit à la guerre.

Or nous avons besoin, pour remettre en ordre notre monde qui se délabre d’autres forces que les forces physiques, nous avons besoin de beaucoup de passion, d’une vigilance moins bruyante, mais constante, d’une volonté de comprendre, vive et passionnée et d’une claire raison. Pour chacun de nous, il y a une infinité de tâches à remplir en silence : nous devons nous abstenir de toutes les paroles susceptibles d’augmenter la méfiance entre les hommes et les nations ; en revanche, nous avons le devoir positif de saisir toute occasion de louer selon leurs mérites les réalisations bienfaisantes des autres races, peuples et nations. Nous devons apprendre à la jeunesse à haïr la haine, car la haine est stérile et détruit la joie de l’existence, le sens de la vie. Nous devons élever cette jeunesse de telle sorte qu’elle puisse penser et sentir dans des dimensions plus vastes, nous devons lui faire comprendre que limiter ses amitiés exclusivement à son propre cercle d’existence, à son propre pays, est le fait d’un cœur étroit et d’un esprit clôturé ; au lieu de cela, il faut fraterniser, par-delà les océans, avec tous les peuples de la terre. Nous devons montrer par notre propre exemple, nous les aînés, que la libre admiration des valeurs étrangères ne diminue pas la force intérieure de l’âme, mais au contraire l’élargit, et qu’un