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Je ne veux pas dire par là qu’aucun idéalisme ne vive plus dans la jeunesse européenne. Tout au contraire, il y a dans la génération de l’après-guerre un grand, un immense idéalisme, plein d’un enthousiasme infini, de volonté, de sens du sacrifice : rarement on a vu une génération plus belle, plus prête à l’abnégation. Mais cet idéalisme se tourne funestement vers les anciens idéaux surannés : il divinise la force et la volonté de puissance. Tous ces jeunes gens préfèrent mille fois mourir pour la grandeur et la gloire de leur pays plutôt que de vivre avec les autres nations pacifiquement et dans des sentiments de bienveillance et d’estime réciproques — ils veulent vivre dans le sens de Nietzsche, « dangereusement », et leur délire d’héroïsme, d’héroïsme en masse, leur est plus cher et plus sacré que l’idée de l’humanité.

Voilà pourquoi une réelle pacification du monde ne peut plus actuellement venir de l’Europe seule. Un autre idéalisme, plus large celui-là, qui ne garde pas constamment les yeux fixés, comme hypnotisés, sur les frontières du pays, un idéalisme qui n’est pas grevé de toutes les vieilles rancœurs et de tous les souvenirs sentimentaux : c’est seulement celui-là qui peut nous aider à reprendre la tâche de la construction de la vieille Tour de Babel, autrement dit de la construction de la communauté humaine, et toute notre espérance va vers vous, peuples jeunes, peuples non encore usés, qui vivez de l’avenir et non du passé et de ses idées mangées par les mites. Vous, les peuples nouveaux, les peuples jeunes, vous vivez et pensez dans des dimensions plus vastes que les nôtres, nous n’avez pas dans votre sang les résidus de la drogue de la guerre, les instincts de haine, les velléités de revanche. Vos pays ne sont pas surpeuplés, congestionnés, comme ceux de notre vieux continent, et c’est pourquoi vous respectez la vie de chaque individu humain. Vous savez qu’il y a encore une infinité de choses à faire pour notre humanité et mieux à faire, dans tous les cas, que de sacrifier d’innombrables êtres humains sur l’autel de la jalousie nationale. Un idéalisme meilleur et plus beau habite votre jeunesse et c’est pourquoi nous reconnaissons chez vous les idéaux de nos propres