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Ils n’étaient qu’un petit groupe, ceux qui alors, à l’époque des guerres de religion, défendaient l’idée de la collaboration spirituelle et de la concorde humaine, c’étaient les humanistes, mais précisément, parce qu’ils étaient peu nombreux — comme ils le sont aujourd’hui — dispersés à travers l’Europe et sans force — comme ils le sont encore aujourd’hui — contre les passions du temps, c’est précisément à cause de cela que nous devons les aimer particulièrement. Ils sont nos ancêtres en esprit, leur religion, c’était l’humanité, l’amour du genre humain tout entier au-dessus de la différence des langues, des credo et des philosophies.

Ils croyaient (et cette croyance est la nôtre) que l’homme spirituel devait avoir du respect pour toutes les opinions et pour tous les peuples, qu’il ne devait pas se laisser entraîner dans les bas-fonds de la haine, mais qu’il devait concéder à chacun sa liberté intellectuelle tout en conservant inébranlablement sa propre position mentale. Ils étaient un petit groupe et, pour la plupart, de pauvres savants sans influence et sans pouvoir, mais, en ce moment critique, ils ont sauvé l’unité du monde en restant fidèles à l’idée de la communion humaine.

Qu’ils aient été, l’un français, l’autre hollandais, un autre, espagnol, cela ne pouvait égarer leur sentiment, même lorsque leurs nations respectives se faisaient la guerre, car ils se sentaient citoyens du monde et leur vraie patrie, c’était toute l’humanité ; pour pouvoir librement s’entretenir entre eux, ils choisirent le latin comme langue commune et leur espoir fut que les hommes, quand ils se seraient élevés à une plus haute formation intellectuelle, ne seraient plus en état de supporter la laideur de la haine et la bestialité de la guerre. Ils rêvaient d’une humanité plus haute et meilleure qui, par une instruction supérieure, arriverait à une entente plus ferme entre peuples et individus et ils voulaient eux-mêmes, en qualité de petite élite, donner l’exemple de cette nouvelle mentalité, de cette religion de l’entente mutuelle.

Naturellement ce n’était qu’un rêve, mais un rêve beau et fécond. En pleine lutte, ces savants solitaires virent apparaître