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Et, comme Marc, pris de froid au cœur, protestait toujours, il continua avec plus de véhémence :

— Voyons, vous savez bien ce qui se passe au Moreux. J’y crève de faim, j’y suis méprisé, ravalé plus bas que le misérable cantonnier qui casse les cailloux sur les routes. L’abbé Cognasse, quand il vient dire sa messe, cracherait sur moi, s’il me rencontrait. Et c’est parce que j’ai refusé de chanter au lutrin et de sonner la cloche que je n’ai pas de pain tous les jours… Vous le connaissez, l’abbé Cognasse, vous l’avez à peu près maté, à Jonville, depuis que vous avez su mettre le maire avec vous. Mais, quand même, vous êtes en guerre chaque jour, et il vous dévorerait, si vous le laissiez faire… Un instituteur, mais c’est la bête de somme, c’est le valet de tout le monde, le déclassé, le monsieur raté dont les paysans se défient et que les curés brûleraient, pour installer sur le pays entier l’unique règne du catéchisme !

Amèrement, il continua, il dit les misères et les souffrances des damnés de l’enseignement primaire, comme il les nommait. Lui, fils d’un berger, ayant eu des succès à son école de village, sorti plus tard de l’École normale avec des notes excellentes, avait toujours souffert de son manque absolu d’argent, car il s’était, par honnêteté, permis la bêtise d’épouser une fille de boutique, aussi pauvre que lui, après l’avoir engrossée, lorsqu’il était simple instituteur adjoint, à Maillebois. Mais est-ce que Marc lui-même, dont la femme avait une grand-mère qui lui faisait de continuels cadeaux, était beaucoup plus heureux, à Jonville, toujours menacé de la dette, en continuelle lutte avec le curé, pour sauvegarder sa dignité et son indépendance ? Il était heureusement secondé par l’institutrice de l’école des filles, Mlle  Mazeline, une raison solide, un cœur inépuisable, qui l’avait aidé à conquérir peu à peu le conseil municipal et toute la commune. L’exemple restait peut-être unique dans