Page:Zola - Vérité.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée

par prudence, n’entra pas ; et elle retint même Mignot un instant encore. Ce que pouvaient se permettre les ministres de Dieu n’était peut-être pas sain pour de simples instituteurs. Cependant, tandis que le frère Fulgence s’empressait auprès de la victime, sans la toucher, avec de nouvelles exclamations tumultueuses, le père Philibin, toujours muet, déroulait le tampon de papier, semblait l’examiner avec soin. Il tournait le dos à la fenêtre, on ne voyait que le mouvement de ses coudes, sans rien distinguer de ce papier, dont on entendait les petits craquements. Cela dura quelques secondes. Et, comme Mignot sautait à son tour dans la chambre, il reconnut que le tampon était fait d’un journal, et qu’il y avait, avec ce journal, une étroite feuille blanche, froissée, maculée.

— Qu’est-ce donc ?

Le jésuite regarda l’adjoint, et tranquillement, de voix grosse et lente :

— C’est un numéro du Petit Beaumontais, daté d’hier 2 août, et le singulier est que, froissé dans ce numéro, se trouve ce modèle d’écriture. Voyez un peu.

Il ne pouvait faire autrement que de le montrer, Mignot l’ayant aperçu. Et il le tenait dans ses doigts épais, n’en laissant voir que les mots : « Aimez-vous les uns les autres », calligraphiés en belle écriture anglaise. Des trous, des salissures faisaient de ce modèle une loque. L’adjoint n’eut pas le temps d’y jeter un coup d’œil, car de nouvelles exclamations terrifiées s’élevaient devant la fenêtre.

C’était Marc qui arrivait et que la vue du pauvre Petit corps pitoyable soulevait d’horreur et de colère. Sans écouter les explications de l’institutrice, il l’écarta, enjamba l’appui, voulant comprendre. La présence des deux religieux l’étonnait, il sut de l’adjoint que, lui Mignot, et Mlle  Rouzaire, les avaient appelés, comme ils passaient,