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Puis, de son ton goguenard d’autrefois  : «  Allons, tu m’en donnes ta parole, c’est bien Beauclair, tout ce grand jardin si magnifique, avec ces jolies maisons. Et je suis donc arrivé, il ne me reste qu’à trouver une auberge, où l’on me permettra de me coucher, dans un coin d’écurie.  »

Pourquoi donc revenait-il  ? Quel projet s’agitait sous ce crâne dévasté, derrière cette face torturée par tant d’années de vagabondage et de vie mauvaise  ? Bonnaire, de plus en plus inquiet, empli de craintes, le voyait déjà troubler la fête du lendemain par quelque scandale. Il n’osa le questionner tout de suite. Mais il voulut l’avoir sous sa garde, plein de pitié aussi, le cœur ému de le retrouver dans un tel dénuement.

«  Il n’y a plus d’auberge, mon brave, et tu vas venir chez moi. Tu mangeras à ta faim, tu dormiras dans un lit frais. Puis, nous causerons, tu me diras ce que tu veux, et je t’aiderai pour que tu te contentes, si c’est possible.  »

Ragu goguenarde encore.

«  Oh  ! ce que je veux  ! rien, ça ne compte plus, la volonté d’un vieux mendiant, à demi infirme. Je veux vous revoir, donner en passant un coup d’œil au pays où je suis né. Ça me tourmentait, cette idée-là, je ne serais pas mort tranquille, si je n’étais pas revenu faire un bout de promenade par ici… N’est-ce pas  ? c’est permis à tout le monde, les routes sont toujours libres  ?

— Sans doute.

— Alors je me suis donc mis en chemin. Oh  ! il y a des années et des années. Quand on a de mauvaises jambes et pas un sou, on n’avance pas vite. Mais tout de même on arrive, puisque me voilà… Et c’est dit, allons chez toi, du moment que tu m’offres l’hospitalité en bon camarade.  »

La nuit venait, les deux vieillards purent traverser doucement le nouveau Beauclair, sans que personne les remarquât. Et Ragu continuait à s’étonner, jetait des