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terre. Aussi avait-elle souffert avec lui, triomphé avec lui, et lorsqu’on l’avait cru mort un moment, sous le couteau de Ragu, elle s’était enfermée deux jours, loin de tous les yeux. Et, au fond de sa douleur, elle découvrait une angoisse intolérable, la liaison avec Josine qu’elle apprenait ainsi et qui lui laissait une blessure. Avait-elle donc aimé Luc sans le savoir  ? N’avait-elle pas rêvé la joie, la fierté d’un époux tel que lui, qui aurait fait un si magnifique usage de la fortune  ? Ne s’était-elle pas dit qu’elle l’aurait aidé, qu’ils auraient ensemble réalisé des prodiges de paix et de bonté  ? Mais il avait guéri, il était maintenant le mari de Josine, et elle avait senti de nouveau tout sombrer dans son abnégation d’épouse sacrifiée, de mère ne vivant plus que pour son fils. Luc cessait d’exister pour elle, et la question qui lui était posée la ramenait de si loin, qu’elle ne cacha pas sa grande surprise, avant de répondre.

«  Comment veux-tu que j’aie revu M. Froment  ? Tu le sais bien, voilà plus de dix ans que nos relations sont rompues.  »

Boisgelin, tranquillement, haussa les épaules.

«  Oh  ! ça n’empêche pas, tu aurais pu le rencontrer et lui parler. Vous vous entendiez si parfaitement, autrefois… Alors, tu n’as gardé aucun rapport avec lui  ?

— Non, dit-elle nettement. Si je le voyais encore, tu le saurais.  »

Elle sentait grandir son étonnement, blessée de son insistance, un peu honteuse d’être interrogée de la sorte. Où voulait-il en venir  ? À quel propos ce désir qu’elle eût conservé des rapports avec Luc  ? Et, à son tour, elle fut curieuse d’être renseignée.

«  Pourquoi me demandes-tu cela  ?

— Pour rien, une idée en l’air que j’ai eue tout à l’heure.  »

Il y revint cependant, il finit par se confesser.