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Bonnaire ajouta  :

«  Il faut pardonner à Bourron, que ce malheureux Ragu dominait… Il n’est point méchant, Bourron, il n’est que faible, et sans doute pourrons-nous encore le sauver.

— Mais ramenez Bourron  ! cria Luc gaiement. Je ne veux pas la mort du pécheur, au contraire  ! Combien ne s’abandonnent que débauchés par des camarades, sans résistance contre les noceurs et les fainéants  ! Bonne recrue, nous en ferons un exemple.  » Jamais il ne s’était senti si heureux, ce retour de Bourron lui parut décisif, bien que l’ouvrier fût devenu médiocre. Le racheter, le sauver, comme disait Bonnaire, n’était-ce pas une victoire sur le salariat  ? Et puis, cela faisait à sa ville une maison de plus, un petit flot ajouté aux autres flots, gonflant la marée qui devait emporter le vieux monde.

Un autre soir, Bonnaire vint encore le prier d’admettre un ouvrier de l’Abîme. Mais, cette fois, la recrue était si pitoyable, qu’il n’insista point.

«  C’est ce pauvre Fauchard, il se décide, dit-il. Vous vous souvenez, il a tourné autour de la Crêcherie à plusieurs reprises. Il ne pouvait prendre une résolution, il craignait de choisir, tant le travail écrasant, toujours le même, l’avait hébété, anéanti. Ce n’est plus un homme, c’est un rouage, déjeté, faussé… Je crains qu’on ne puisse plus en tirer rien de bon.  »

Luc songeait, évoquait ses premiers jours à Beauclair.

«  Oui, je sais, il a une femme, Natalie, n’est-ce pas  ? une femme soucieuse et dolente, toujours en quête de crédits. Et il a un beau-frère, Fortuné, qui n’avait encore que seize ans, et que j’ai vu si pâle, si ahuri, si mangé déjà par le travail machinal et précoce. Ah  ! les pauvres êtres  ! … Eh bien  ! qu’ils viennent tous, pourquoi ne viendraient-ils pas  ? Ce sera encore un exemple, même si nous