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autour de la fabrication chère des obus et des canons, un gros bruit de succès. Mais, déjà, il n’y avait plus là qu’une apparence, et Delaveau commençait à ressentir, par moments, de sérieuses inquiétudes qu’il n’avouait pas. Il avait bien avec lui tout Beauclair, toute la société bourgeoise et capitaliste menacée. Il restait en outre convaincu qu’il était la vérité, l’autorité, la force, et que sa victoire finale était certaine. Cependant, un doute secret finissait par l’entamer, un trouble lui venait de la vie dure de la Crêcherie, dont il prophétisait la débâcle tous les trois mois. Il ne pouvait lutter sur les fers et les aciers de commerce, sur ces rails, ces poutres, ces fermes, que l’usine voisine produisait à bon marché, dans d’excellentes conditions. Et il ne lui restait donc que les aciers fins, les produits soignés à trois et quatre francs le kilogramme, que deux maisons très importantes fabriquaient aussi dans un département voisin. Elles lui faisaient une terrible concurrence, il sentait que, sur les trois, il y en avait une de trop, et que la question était de savoir quelles seraient les deux qui mangeraient la troisième. Affaibli par la Crêcherie, l’Abîme n’allait-il pas être la maison condamnée à disparaître  ? Ce doute désormais le rongeait bien qu’il redoublât d’activité et qu’il gardât une attitude de sereine confiance en la bonne cause, cette religion du salariat dont il était le défenseur. Mais, plus encore que les concurrences, que les hasards des luttes industrielles, ce qui le hantait, c’était de n’être pas appuyé sur un fonds de réserve, lui permettant de faire face aux nécessités, aux catastrophes imprévues. Qu’une crise se déclarât, un chômage, une grève, simplement une année mauvaise et c’était un désastre, puisque l’usine n’aurait pas de quoi vivre en attendant la reprise des affaires. Déjà, dans un cas pressé, pour un outillage nouveau, il avait fallu emprunter trois cent mille francs, dont les lourds intérêts grevaient