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collectivisme intransigeant souffrait du régime de simple association qui régissait la Crêcherie, et dans lequel le capital gardait sa large part. Le révolutionnaire en lui, l’ouvrier rêveur d’absolu, protestait. Mais il était sage, il travaillait et poussait les camarades à travailler en tout dévouement, ayant promis d’attendre les résultats de l’expérience.

«  Alors, reprit Fauchard, vous gagnez beaucoup, le double de vos journées d’autrefois  ?   »

Ragu se mit à plaisanter, de son rire mauvais.

«  Oh  ! le double, dis cent francs par jour, et je ne compte pas le champagne et les cigares  !   »

Lui, sans entrain, avait simplement suivi Bonnaire, en venant s’embaucher à la Crêcherie. Et, s’il n’y était point mal, dans un grand bien-être relatif, trop d’ordre et trop de certitude devaient l’y blesser, car il redevenait railleur, il commençait à tourner son bonheur en dérision.

«  Cent francs  ! cria Fauchard suffoqué, tu gagnes cent francs, toi  ?   »

Bourron, qui restait l’ombre de Ragu, crut devoir renchérir.

«  Cent francs pour commencer  ! et l’on vous paie les chevaux de bois le dimanche  !   »

Mais Bonnaire haussa les épaules, d’un air de gravité dédaigneuse, tandis que les deux autres ricanaient.

«  Tu vois bien qu’ils disent des bêtises et qu’ils se moquent de toi… Tout compte fait, après le partage des bénéfices, nos journées ne sont guère plus fortes que les vôtres. Seulement, à chaque règlement, elles augmentent, et il est très certain qu’elles deviendront superbes… Puis, nous avons toutes sortes d’avantages, notre avenir est assuré, notre vie est beaucoup moins chère, grâce à nos magasins coopératifs et aux petites maisons si gaies, qu’on nous loue presque pour rien… Certes, ce n’est pas encore