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d’autres encore, la collection complète, jusqu’aux plus obscurs disciples. Et Luc, la bougie à la main, s’intéressait, lisait les noms et les titres au dos des volumes, les comptait, s’étonnait de leur nombre, de tant de bonnes semences jetées au vent, de tant de bonnes paroles qui dormaient là, en attendant la moisson.

Il avait beaucoup lu déjà, il connaissait les pages maîtresses de la plupart de ces ouvrages. Le système philosophique, économique, social, de chacun de ces auteurs lui était familier. Mais il se sentait envahi d’un vent nouveau, à les trouver tous réunis là, en un groupe compact. Jamais il n’avait eu une idée si nette de leur force, de leur valeur, de l’évolution humaine considérable qu’ils apportaient. Ils étaient toute une phalange, toute une avant-garde du siècle futur, qui peu à peu serait suivie par l’immense armée des peuples. Surtout, ce qui le frappait, en les voyant ainsi côte à côte, paisiblement mêlés, d’une force souveraine en leur union, c’était leur fraternité profonde. S’il n’ignorait pas les idées contradictoires qui les avaient séparés autrefois, les combats acharnés qu’ils s’étaient même livrés les uns aux autres, ils lui semblaient tous frères aujourd’hui, réconciliés dans le commun évangile dans les vérités uniques et définitives qu’ils avaient tous apportées. Et la grande aurore qui se levait de leurs œuvres était la religion de l’humanité dont ils avaient tous eu la foi, leur tendresse pour les déshérités de ce monde, leur haine de l’injustice sociale, leur croyance au travail sauveur.

Luc, qui avait ouvert la bibliothèque, voulut choisir un de ces livres. Puisqu’il ne pouvait dormir, il lirait quelques pages, il attendrait le sommeil. Un instant, il hésita, puis se décida pour un tout petit volume, dans lequel un disciple de Fourier avait résumé la doctrine entière du maître. Le titre : Solidarité, venait de l’é