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La présence de Thérèse ne l’embarrassait nullement. Il traitait la jeune femme avec une rondeur amicale, il plaisantait, lui adressait des galanteries banales, sans qu’un pli de sa face bougeât. Camille riait, et, comme sa femme ne répondait à son ami que par des monosyllabes, il croyait fermement qu’ils se détestaient tous deux. Un jour même il fit des reproches à Thérèse sur ce qu’il appelait sa froideur pour Laurent.

Laurent avait deviné juste : il était devenu l’amant de la femme, l’ami du mari, l’enfant gâté de la mère. Jamais il n’avait vécu dans un pareil assouvissement de ses appétits. Il s’endormait au fond des jouissances infinies que lui donnait la famille Raquin. D’ailleurs, sa position dans cette famille lui paraissait toute naturelle. Il tutoyait Camille sans colère, sans remords. Il ne surveillait même pas ses gestes ni ses paroles, tant il était certain de sa prudence, de son calme ; l’égoïsme avec lequel il goûtait ses félicités le protégeait contre toute faute. Dans la boutique, sa maîtresse devenait une femme comme une autre, qu’il ne fallait point embrasser et qui n’existait pas pour lui. S’il ne l’embrassait pas devant tous, c’est qu’il craignait de ne pouvoir revenir. Cette seule conséquence l’arrêtait. Autrement, il se serait parfaitement moqué de la douleur de Camille et de sa mère. Il n’avait point conscience de ce que la découverte de sa liaison pourrait amener. Il croyait agir simplement, comme tout le monde aurait agi à sa place, en homme pauvre et affamé. De là ses