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prétexte elle montait et s’oubliait à regarder peindre Laurent.

Grave toujours, oppressée, plus pâle et plus muette, elle s’asseyait et suivait le travail des pinceaux. Ce spectacle ne paraissait cependant pas l’amuser beaucoup ; elle venait à cette place, comme attirée par une force, et elle y restait, comme clouée. Laurent se retournait parfois, lui souriait, lui demandait si le portrait lui plaisait. Elle répondait à peine, frissonnait, puis reprenait son extase recueillie.

Laurent, en revenant le soir à la rue Saint-Victor, se faisait de longs raisonnements ; il discutait avec lui-même s’il devait, ou non, devenir l’amant de Thérèse.

— Voilà une petite femme, se disait-il, qui sera ma maîtresse quand je le voudrai. Elle est toujours là, sur mon dos, à m’examiner, à me mesurer, à me peser… Elle tremble, elle a une figure toute drôle, muette et passionnée. À coup sûr, elle a besoin d’un amant ; cela se voit dans ses yeux… Il faut dire que Camille est un pauvre sire.

Laurent riait en dedans, au souvenir des maigreurs blafardes de son ami. Puis il continuait :

— Elle s’ennuie dans cette boutique… Moi j’y vais, parce que je ne sais où aller. Sans cela, on ne me prendrait pas souvent au passage du Pont-Neuf. C’est humide, triste. Une femme doit mourir là-dedans… Je lui plais, j’en suis certain ; alors pourquoi pas moi plutôt qu’un autre.