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goûter du vice pour voir si le vice ne le soulagerait pas en étourdissant ses pensées.

Le soir, Laurent, en revenant à la boutique, décida qu’il demanderait quelques milliers de francs à sa femme et qu’il emploierait les grands moyens pour les obtenir. Il pensait que le vice coûte cher à un homme, il enviait vaguement le sort des filles qui peuvent se vendre. Il attendit patiemment Thérèse, qui n’était pas encore rentrée. Quand elle arriva, il joua la douceur, il ne lui parla pas de son espionnage du matin. Elle était un peu grise ; il s’échappait de ses vêtements mal rattachés cette senteur âcre de tabac et de liqueur qui traîne dans les estaminets. Éreintée, la face marbrée de plaques livides, elle chancelait, tout alourdie par la fatigue honteuse de la journée.

Le dîner fut silencieux. Thérèse ne mangea pas. Au dessert, Laurent posa les coudes sur la table et lui demanda carrément cinq mille francs.

— Non, répondit-elle avec sécheresse. Si je te laissais libre, tu nous mettrais sur la paille… Ignores-tu notre position ? Nous allons tout droit à la misère.

— C’est possible, reprit-il tranquillement, cela m’est égal, je veux de l’argent.

— Non, mille fois non !… Tu as quitté ta place, le commerce de mercerie ne marche plus du tout, et ce n’est pas avec les rentes de ma dot que nous pouvons vivre. Chaque jour j’entame le capital pour te nourrir et te donner les cent francs par mois que tu m’as arrachés. Tu n’auras pas davantage, entends-tu ? C’est inutile.