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Et elle embrassait madame Raquin, qui fermait les yeux. Elle tournait autour d’elle, remontant l’oreiller qui lui soutenait la tête, lui prodiguant mille amitiés. Laurent était exaspéré.

— Eh ! laisse-la, criait-il, tu ne vois pas que ta vue et tes soins lui sont odieux. Si elle pouvait lever la main, elle te souffletterait.

Les paroles lentes et plaintives de sa femme, ses attitudes résignées le faisaient peu à peu entrer dans des colères aveugles. Il voyait bien quelle était sa tactique ; elle voulait ne plus faire cause commune avec lui, se mettre à part, au fond de ses regrets, afin de se soustraire aux étreintes du noyé. Par moments, il se disait qu’elle avait peut-être pris le bon chemin, que les larmes la guériraient de ses épouvantes, et il frissonnait à la pensée d’être seul à souffrir, seul à avoir peur. Il aurait voulu se repentir, lui aussi, jouer tout au moins la comédie du remords, pour essayer ; mais il ne pouvait trouver les sanglots et les mots nécessaires, il se rejetait dans la violence, il secouait Thérèse pour l’irriter et la ramener avec lui dans la folie furieuse. La jeune femme s’étudiait à rester inerte, à répondre par des soumissions larmoyantes aux cris de sa colère, à se faire d’autant plus humble et repentante qu’il se montrait plus rude. Laurent montait ainsi jusqu’à la rage. Pour mettre le comble à son irritation, Thérèse finissait toujours par faire le panégyrique de Camille, par étaler les vertus de sa victime.

— Il était bon, disait-elle, et il a fallu que nous fus-