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consenti à m’épouser. Souviens-toi des deux années qui ont suivi le meurtre. Désires-tu tenter une épreuve ? Je vais aller tout dire au procureur impérial, et tu verras si nous ne serons pas condamnés l’un et l’autre.

Ils frissonnèrent, et Thérèse reprit :

— Les hommes me condamneraient peut-être, mais Camille sait bien que tu as tout fait… Il ne me tourmente pas la nuit comme il te tourmente.

— Camille me laisse en repos, dit Laurent pâle et tremblant, c’est toi qui le vois passer dans tes cauchemars, je t’ai entendue crier.

— Ne dis pas cela, s’écria la jeune femme avec colère, je n’ai pas crié, je ne veux pas que le spectre vienne. Oh ! je comprends, tu cherches à le détourner de toi… je suis innocente, je suis innocente !

Ils se regardèrent terrifiés, brisés de fatigue, craignant d’avoir évoqué le cadavre du noyé. Leurs querelles finissaient toujours ainsi ; ils protestaient de leur innocence, ils cherchaient à se tromper eux-mêmes pour mettre en fuite les mauvais rêves. Leurs continuels efforts tendaient à rejeter à tour de rôle la responsabilité du crime, à se défendre comme devant un tribunal, en faisant mutuellement peser sur eux les charges les plus graves. Le plus étrange était qu’ils ne parvenaient pas à être dupes de leurs serments, qu’ils se rappelaient parfaitement tous deux les circonstances de l’assassinat. Ils lisaient des aveux dans leurs yeux, lorsque leurs lèvres se donnaient des démentis.