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plus la voix pour exprimer au dehors les pensées qui naissaient en elle. Ses idées l’étouffaient peut-être. Elle n’aurait pu lever la main, ouvrir la bouche, quand même un de ses mouvements, une de ses paroles eût décidé des destinées du monde. Son esprit était comme un de ces vivants qu’on ensevelit par mégarde et qui se réveillent dans la nuit de la terre, à deux ou trois mètres au-dessous du sol ; ils crient, ils se débattent, et l’on passe sur eux sans entendre leurs atroces lamentations. Souvent, Laurent regardait madame Raquin, les lèvres serrées, les mains allongées sur les genoux, mettant toute sa vie dans ses yeux vifs et rapides, et il se disait :

— Qui sait à quoi elle peut penser toute seule… Il doit se passer quelque drame cruel au fond de cette morte.

Laurent se trompait, madame Raquin était heureuse, heureuse des soins et de l’affection de ses chers enfants. Elle avait toujours rêvé de finir comme cela, lentement, au milieu de dévouements et de caresses. Certes, elle aurait voulu conserver la parole pour remercier ses amis qui l’aidaient à mourir en paix. Mais elle acceptait son état sans révolte ; la vie paisible et retirée qu’elle avait toujours menée, les douceurs de son tempérament lui empêchaient de sentir trop rudement les souffrances du mutisme et de l’immobilité. Elle était redevenue enfant, elle passait des journées sans ennui, à regarder devant elle, à songer au passé. Elle finit même par goûter des charmes à rester