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une délicieuse jupe de soie grise, avec un grand mantelet de dentelle noire ; une voilette lui couvrait le visage, et ses mains gantées paraissaient toutes petites et toutes fines. Autour d’elle traînait une senteur douce de violette. Elle regardait un cadavre. Sur une pierre, à quelques pas, était allongé le corps d’un grand gaillard, d’un maçon qui venait de se tuer net en tombant d’un échafaudage ; il avait une poitrine carrée, des muscles gros et courts, une chair blanche et grasse ; la mort en avait fait un marbre. La dame l’examinait, le retournait en quelque sorte du regard, le pesait, s’absorbait dans le spectacle de cet homme. Elle leva un coin de sa voilette, regarda encore, puis s’en alla.

Par moments, arrivaient des bandes de gamins, des enfants de douze à quinze ans, qui couraient le long du vitrage, ne s’arrêtant que devant les cadavres de femmes. Ils appuyaient leurs mains aux vitres et promenaient des regards effrontés sur les poitrines nues. Ils se poussaient du coude, ils faisaient des remarques brutales, ils apprenaient le vice à l’école de la mort. C’est à la Morgue que les jeunes voyous ont leur première maîtresse.

Au bout d’une semaine, Laurent était écœuré. La nuit, il rêvait les cadavres qu’il avait vus le matin. Cette souffrance, ce dégoût de chaque jour qu’il s’imposait, finit par le troubler à un tel point qu’il résolut de ne plus faire que deux visites. Le lendemain, comme il entrait à la morgue, il reçut un coup violent dans la poitrine : en face de lui, sur une dalle, Camille