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NANA

propre, agacée de la voir toujours là ; ses yeux s’y portaient quand même, elle n’entrait plus chez madame sans dire :

— C’est drôle, ça ne s’en va pas… Il vient pourtant assez de monde.

Nana, qui recevait de meilleures nouvelles de Georges, alors en convalescence aux Fondettes avec sa mère, faisait chaque fois la même réponse :

— Ah ! dame, il faut le temps… Ça pâlit sous les pieds.

En effet, chacun de ces messieurs, Foucarmont, Steiner, la Faloise, Fauchery, avait emporté un peu de la tache à ses semelles. Et Muffat, que le trait de sang préoccupait comme Zoé, l’étudiait malgré lui, pour lire, dans son effacement de plus en plus rose, le nombre d’hommes qui passaient. Il en avait une sourde peur, toujours il l’enjambait, par une crainte brusque d’écraser quelque chose de vivant, un membre nu étalé par terre.

Puis, là, dans cette chambre, un vertige le grisait. Il oubliait tout, la cohue des mâles qui la traversaient, le deuil qui en fermait la porte. Dehors, parfois, au grand air de la rue, il pleurait de honte et de révolte, en jurant de ne jamais y rentrer. Et, dès que la portière retombait, il était repris, il se sentait fondre à la tiédeur de la pièce, la chair pénétrée d’un parfum, envahie d’un désir voluptueux d’anéantissement. Lui, dévot, habitué aux extases des chapelles riches, retrouvait exactement ses sensations de croyant, lorsque, agenouillé sous un vitrail, il succombait à l’ivresse des orgues et des encensoirs. La femme le possédait avec le despotisme jaloux d’un Dieu de colère, le terrifiant, lui donnant des secondes de joie aiguës comme des spasmes, pour des heures d’affreux tourments, des visions d’enfer et