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LES ROUGON-MACQUART

chery répondit par un haussement d’épaules désespéré au regard dont elle l’interrogea. Quant à Mignon, il discutait avec Bordenave les termes du traité.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle d’une voix brève.

— Rien, dit son mari. C’est Bordenave qui donne dix mille francs pour ravoir ton rôle.

Elle tremblait, très pâle, ses petits poings serrés. Un moment, elle le dévisagea, dans une révolte de tout son être, elle qui d’habitude s’abandonnait docilement, pour les questions d’affaires, lui laissant la signature des traités avec ses directeurs et ses amants. Et elle ne trouva que ce cri, dont elle lui cingla la face comme d’un coup de fouet :

— Ah ! tiens ! tu es trop lâche !

Puis, elle se sauva. Mignon, stupéfait, courut derrière elle. Quoi donc ? elle devenait folle ? Il lui expliquait à demi-voix que dix mille francs d’un côté et quinze mille francs de l’autre, ça faisait vingt-cinq mille. Une affaire superbe ! De toutes les façons, Muffat la lâchait ; c’était un joli tour de force, d’avoir tiré cette dernière plume de son aile. Mais Rose ne répondait pas, enragée. Alors, Mignon, dédaigneux, la laissa à son dépit de femme. Il dit à Bordenave, qui revenait sur la scène avec Fauchery et Muffat :

— Nous signerons demain matin. Ayez l’argent.

Justement, Nana, prévenue par Labordette, descendait, triomphante. Elle faisait la femme honnête, avec des airs de distinction, pour épater son monde et prouver à ces idiots que, lorsqu’elle voulait, pas une n’avait son chic. Mais elle faillit se compromettre. Rose, en l’apercevant, s’était jetée sur elle, étranglée, balbutiant :

— Toi, je te retrouverai… Il faut que ça finisse entre nous, entends-tu !

Nana, s’oubliant devant cette brusque attaque,