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NANA

yeux, sans colère contre le sort, simplement faible et malade. À la fin, il était trop las, il avait reçu trop de pluie, il souffrait trop du froid. L’idée de rentrer dans son hôtel sombre de la rue Miromesnil le glaçait. Chez Nana, la porte n’était pas ouverte, il dut attendre que le concierge parût. En montant, il souriait, pénétré déjà par la chaleur molle de cette niche, où il allait pouvoir s’étirer et dormir.

Lorsque Zoé lui ouvrit, elle eut un geste de stupéfaction et d’inquiétude. Madame, prise d’une abominable migraine, n’avait pas fermé l’œil. Enfin, elle pouvait toujours voir si madame ne s’était pas endormie. Et elle se glissa dans la chambre, pendant qu’il tombait sur un fauteuil du salon. Mais, presque aussitôt, Nana parut. Elle sautait du lit, elle avait à peine eu le temps de passer un jupon, pieds nus, les cheveux épars, la chemise fripée et déchirée, dans le désordre d’une nuit d’amour.

— Comment ! c’est encore toi ! cria-t-elle, toute rouge.

Elle accourait, sous le fouet de la colère, pour le flanquer elle-même à la porte. Mais en le voyant si minable, si fini, elle éprouva un dernier apitoiement.

— Eh bien ! tu es propre, mon pauvre chien ! reprit-elle avec plus de douceur. Qu’y a-t-il donc ?… Hein ? tu les as guettés, tu t’es fait de la bile ?

Il ne répondit pas, il avait l’air d’une bête abattue. Cependant, elle comprit qu’il manquait toujours de preuves ; et, pour le remettre :

— Tu vois, je me trompais. Ta femme est honnête, parole d’honneur !… Maintenant, mon petit, il faut rentrer chez toi et te coucher. Tu en as besoin.

Il ne bougea pas.

— Allons, va-t’en. Je ne peux te garder ici… Tu n’as peut-être pas la prétention de rester, à cette heure ?