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MADELEINE FÉRAT

Elle faisait signe que non de la tête, elle gardait son rire forcé, son attitude de femme persécutée. Alors le jeune homme lui prenait les mains, tâchait de les réchauffer dans les siennes, et comme ces mains restaient froides et inertes, il les laissait retomber en s’écriant :

— Je suis un pauvre amoureux, n’est-ce pas ? Je ne sais point me faire aimer… Il y a des gens qu’on n’oublie pas.

Une pareille allusion atteignait douloureusement Madeleine.

— Tu es cruel, répondait-elle avec amertume. Je n’ignore pas ce que je suis, et c’est pour cela que je pleure. Que t’imagines-tu donc, Guillaume ?

Il baissait la tête, et elle ajoutait avec force :

— Il vaudrait peut-être mieux que tu connusses mon passé. Tu saurais au moins à quoi t’en tenir, tu ne rêverais pas plus de honte qu’il n’y en a… Veux-tu que je te dise tout ?

Il refusait violemment, il prenait sa maîtresse sur sa poitrine, la suppliant de lui pardonner. Cette scène, qui se renouvela fréquemment, n’alla jamais plus loin ; mais, une heure après, ils retombaient, lui, dans un désespoir égoïste de ne pas la posséder entièrement, elle, dans les regrets de son orgueil et dans la crainte d’être blessée.

D’autres fois, Madeleine se jetait au cou de Guillaume et y pleurait franchement. Ces crises de larmes, que rien n’expliquait, étaient encore plus pénibles pour le jeune homme. Il n’osait questionner sa maîtresse, il la consolait d’un air impatienté qui arrêtait ses pleurs et lui faisait prendre une attitude dure et implacable. Alors elle refusait de répondre, il fallait que son amant s’attendrît lui-même jusqu’à sangloter pour qu’ils se prissent dans les bras l’un de l’autre, se désespérant et se consolant mutuellement. Et ils n’auraient pu dire ce qui les rendait misérables ; ils étaient tristes à mourir sans savoir pourquoi ; il leur semblait qu’ils respiraient le malheur, qu’un accablement lent et continu les écrasait.