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MADELEINE FÉRAT

tendait que la respiration fiévreuse de Guillaume, au fond de la pièce voisine.

Jacques ne lui parut pas avoir son air railleur du matin. Son cou et ses bras nus, sa chemise ouverte n’irritèrent plus ses souvenirs. Cet homme était mort ; son image avait pris une indéfinissable expression d’amitié attendrie. Madeleine éprouva une grande douceur à le contempler. Il lui souriait de son sourire cordial d’autrefois, et il n’y avait pas jusqu’à son attitude libre qui ne la touchât profondément. Le jeune homme, assis à califourchon sur sa chaise, fumant sa pipe de terre blanche, semblait lui pardonner avec bonhomie. Il était tel qu’elle l’avait connu, bon enfant dans la mort ; il lui apparaissait comme si elle eût poussé la porte de leur chambre de la rue Soufflot, gai et sans gêne, se faisant pardonner ses amours légères par sa belle humeur.

Elle pleura des larmes plus douces, elle s’oublia dans la contemplation de celui qui n’était plus. Ce portrait devenait une relique désormais, et elle pensait qu’elle n’avait rien à en redouter. Alors, elle se rappela ses luttes de la matinée, son indécision, son anxiété à prendre un parti. Le pauvre Jacques, au moment où elle se désespérait de le voir se lever entre elle et son amant, avait semblé lui envoyer la nouvelle de sa mort pour lui dire de vivre tranquille. Il ne viendrait plus la troubler dans ses nouvelles amours ; il paraissait l’autoriser à enfouir au fond de son cœur le secret de leur liaison. À quoi bon faire souffrir Guillaume, et pourquoi ne pas tenter encore le bonheur ? Elle devait se taire par pitié, par tendresse. Le portrait de Jacques murmurait : « Va, tâche d’être heureuse, mon enfant. Je ne suis plus là, jamais je n’apparaîtrai devant vous comme ta honte vivante. Ton amoureux est un enfant, je l’ai secouru, je te prie de le secourir à ton tour. Si tu es bonne, pense seulement quelquefois à moi. »

Madeleine fut convaincue. Elle garderait le silence, elle ne serait pas plus cruelle que le sort, qui avait voulu cacher à Guillaume le nom de son premier amant. D’ailleurs,