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MADELEINE FÉRAT

coua l’élève d’importance en lui disant qu’il aurait affaire à lui s’il tourmentait ainsi les enfants. Il prit ensuite le bras du persécuté et se promena en sa compagnie pendant toute la récréation, au scandale des collégiens qui ne comprenaient pas comment le Parisien pouvait choisir un pareil ami.

Guillaume fut profondément touché du secours et de l’amitié que Jacques lui offrait. Celui-ci avait été pris d’une soudaine sympathie pour le visage souffrant de son nouveau camarade. Quand il l’eut questionné, il comprit qu’il allait avoir une protection active à exercer. Cela le décida.

— Veux-tu être mon ami ? demanda-t-il à Guillaume en lui offrant la main.

Le pauvre enfant pleura presque en serrant cette main, la première qui se tendait vers lui.

— Je vous aimerai bien, répondit-il de la voix timide d’un amant qui avouerait son amour.

À la récréation suivante, un groupe d’élèves entoura le Parisien pour lui raconter l’histoire de Guillaume. On comptait lui faire rosser le Bâtard en lui parlant du scandale de sa naissance. Jacques écouta tranquillement les plaisanteries sales de ses camarades. Quand ils eurent fini, il haussa les épaules.

— Vous êtes des imbéciles, leur dit-il. Si j’entends un de vous répéter ce que vous venez de dire, je le giflerai.

Il ne sentit que plus de sympathie pour le paria, en comprenant la profondeur de ses blessures. Il avait déjà eu pour ami, au lycée Charlemagne, un enfant de l’amour, un garçon d’une intelligence rare et charmante, qui remportait tous les prix de sa classe et qui était adoré de ses camarades et de ses maîtres. Cela lui fit accepter comme une chose fort naturelle le récit du scandale qui indignait si fort les jeunes brutes de Véteuil. Il alla reprendre le bras de Guillaume.

— Quelles oies que ces enfants-là ! lui dit-il ; ils sont bêtes et méchants. Je sais tout ; mais, va, ne crains rien :