Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
MADELEINE FÉRAT

sa mère. Elle était dans la maison moins une servante qu’une toute-puissante maîtresse.

À soixante-dix ans, elle faisait encore de gros travaux. Plusieurs domestiques se trouvaient sous ses ordres, mais elle mettait un grand orgueil à s’imposer des tâches grossières. Elle avait une humilité d’une vanité incroyable. Elle dirigeait tout à la Noiraude, levée dès le point du jour, donnant à chacun l’exemple d’une activité infatigable, remplissant son mandat avec une rudesse de femme qui n’a jamais failli.

Un des grands désespoirs de sa vie fut la passion de son maître pour la science. En le voyant s’enfermer pendant de longues journées dans une pièce encombrée d’appareils étranges, elle le crut fermement devenu sorcier. Quand elle passait devant la porte de cette pièce et qu’elle entendait le bruit de son soufflet, elle joignait les mains de terreur, persuadée qu’il activait de son haleine le feu de l’enfer. Un jour, elle eut le courage d’entrer et d’adjurer solennellement le comte, au nom de sa mère, de sauver son âme en renonçant à une besogne maudite. M. de Viargue la poussa doucement vers la porte, souriant, lui promettant de se réconcilier avec Dieu plus tard, quand il mourrait. Dès lors, elle pria pour lui matin et soir. Elle répétait souvent, dans une sorte d’exaltation prophétique, qu’elle entendait rôder le diable chaque nuit et que de grands malheurs menaçaient la Noiraude.

Geneviève considéra la liaison scandaleuse du comte avec la femme du notaire, comme un premier avertissement de la colère de Dieu. Le jour où cette femme s’installa au château, elle fut prise d’une sainte indignation. Elle déclara à son maître qu’elle ne pouvait vivre en compagnie de cette créature et qu’elle lui cédait la place. Et elle fit comme elle disait : elle alla se loger dans une sorte de pavillon que M. de Viargue possédait au bout de son parc. Pendant deux années, elle ne mit pas le pied à la Noiraude. Les paysans qui passaient le long de la muraille du parc, surprenaient les éclats de sa voix sèche psalmo-