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III

Véteuil est une petite ville de dix mille âmes, située sur la lisière de la Normandie. Les rues sont propres, silencieuses. C’est un pays mort. Les gens qui veulent prendre le chemin de fer, sont obligés de faire cinq lieues en diligence pour aller attendre les trains qui passent à Mantes. Autour de la ville, la plaine est très fertile ; elle s’étend en gras pâturages, coupés par des rideaux de peupliers ; un ruisseau qui va se jeter dans la Seine, creuse ces larges terrains plats et les traverse d’un long ruban d’arbres et de roseaux.

C’est dans ce trou perdu que naquit Guillaume. Son père, M. de Viargue, était un des derniers représentants de la vieille noblesse du pays. Né en Allemagne, pendant l’émigration, il vint en France avec les Bourbons, comme en une contrée étrangère et ennemie. Sa mère en avait été chassée brutalement, et dormait dans un cimetière de Berlin ; son père était mort sur l’échafaud. Il ne put pardonner au sol qui avait bu le sang du guillotiné et qui ne recouvrait pas le corps de la pauvre morte. La Restauration le fit rentrer dans les biens de sa famille, il retrouva le titre et la position attachés à son nom, mais il n’en garda pas moins sa haine contre cette France maudite