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MADELEINE FÉRAT

Le jeune homme ne put résister davantage à l’envie folle qu’il avait d’aller fermer les volets. Il se leva.

— Voyons, dit-il avec impatience, fermez la fenêtre. C’est dangereux ce que vous faites là.

Il s’avança et toucha le bras de Madeleine. Celle-ci se tourna à demi.

— Vous avez donc peur ? lui dit-elle.

Et elle eut un rire gras, un de ces rires méprisants de femme qui se moque. Guillaume baissa la tête. Il hésita un instant à aller reprendre sa place devant la table ; puis, vaincu par son angoisse :

— Je vous en prie, balbutia-t-il.

À ce moment, les nuages crevaient, des torrents d’eau tombaient du ciel. Un ouragan se leva qui poussa un flot de pluie dans la salle. Madeleine se décida à fermer la fenêtre. Elle revint s’asseoir en face de Guillaume.

Au bout d’un silence :

— Quand j’étais petite, dit-elle, mon père me prenait dans ses bras, les jours d’orage, et me portait à la fenêtre. Je me rappelle que, les premières fois, je me cachais la face contre son épaule ; puis cela m’a amusée de voir les éclairs… Vous avez peur, vous ?

Guillaume leva la tête.

— Je n’ai pas peur, répondit-il doucement, je souffre.

Le silence se fit de nouveau. L’orage continuait avec des éclats terribles. Pendant près de trois heures, le tonnerre gronda. Guillaume resta tout ce temps-là sur sa chaise, affaissé, inerte, le visage pâle et défait. Madeleine, en voyant ses tressaillements nerveux, avait fini par comprendre qu’il souffrait réellement ; elle le regardait avec un intérêt mêlé de surprise, étonnée qu’un homme eût des nerfs plus délicats qu’une femme.

Ces trois heures furent pour les jeunes gens d’une longueur désespérante. Ils échangèrent à peine quelques mots. Leur dîner d’amoureux s’achevait étrangement. Enfin le tonnerre s’éloigna, la pluie tomba plus fine. Madeleine alla ouvrir la fenêtre.