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père, venait lui demander de la consoler, elle ne pouvait résister à l’envie folle qu’elle avait de la serrer contre elle. Elle essuyait sous des baisers les grosses larmes silencieuses dont ses yeux s’emplissaient, elle la promenait un instant, lui parlant bas, cherchant à lui donner en quelques secondes l’affection dont elle la privait.

Un jour, Lucie, que Guillaume avait écartée d’un geste brusque, courut vers sa mère en sanglotant. Dès qu’elle fut sur ses genoux :

— Papa m’a battue, balbutia-t-elle. C’est un méchant, je ne veux plus de lui.

Le jeune homme s’était approché, regrettant sa brutalité.

— Tiens, regarde, dit Madeleine, à la petite fille qu’elle berçait pour la calmer, ton père est là. Il t’embrassera si tu es sage.

Mais l’enfant jeta ses bras au cou de la jeune femme, d’un mouvement effrayé. Quand elle se crut en sûreté, elle leva les yeux vers Guillaume, elle le regarda de son air grave.

— Non, non, murmura-t-elle, je ne le connais plus.

Et elle accompagna cette parole d’une moue de répugnance qui fit échanger aux époux un singulier regard. Les yeux de Guillaume disaient clairement à Madeleine : « Tu le vois, elle refuse d’être ma fille, elle a dans les veines un sang qui n’est pas le mien. » La présence de ce pauvre être était ainsi pour eux un continuel sujet d’angoisse ; il leur semblait que Jacques fût toujours là, à leur côté. Ils se martyrisaient eux-mêmes, donnait à des puérilités des sens gros de terreur et de souffrance. Le jeune homme surtout paraissait prendre un horrible plaisir à s’imaginer des monstruosités. Il aimait encore sa fille d’une affection étrange, pleine de soudaines épouvantes. Parfois, il avait des envies de la serrer contre sa poitrine, d’écraser ses traits sous des baisers, pour la faire toute sienne. Il la considérait attentivement, cherchant sur son visage une place frappée à sa ressemblance, afin d’y coller ses lèvres. Puis