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fini entre nous. Je n’ai plus qu’à disparaître… La mort doit être douce.

Guillaume releva la tête.

— La mort, murmura-t-il, déjà la mort… Non, tout ne peut être fini.

Il regardait sa femme, ému par la pensée de la voir morte. Il n’espérait plus, il se sentait à jamais blessé, mais toutes ses faiblesses nerveuses s’effrayaient devant un dénouement immédiat et brutal. S’il voulait vivre encore, ce n’était pas qu’il rêvât de tenter de nouveau le bonheur ; c’était qu’il trouvait à son insu une sorte de volupté amère à souffrir de cet amour qui avait fait la joie de sa vie. Sous la terre, il ne sentirait même plus les coups de Madeleine.

— Eh ! sois franc, dit celle-ci en retrouvant sa voix rude. Ne crains pas d’être cruel. Est-ce que je t’ai épargné, moi ?… Il y a désormais un homme entre nous… Oserais-tu m’embrasser, Guillaume ?

Il y eut un silence.

— Tu vois, tu ne réponds pas, continua-t-elle… La fuite est impossible. Je ne veux plus m’exposer à rencontrer sur les routes des femmes en haillons qui me tutoient, je ne veux plus m’arrêter dans des auberges où je courrais le risque de ressusciter les jours morts… Il vaut mieux en finir tout de suite.

Elle marchait d’un pas saccadé, cherchant vaguement autour d’elle un moyen de suicide. Guillaume la suivait des yeux, ne trouvant rien à lui dire. Si elle s’était tuée en ce moment-là, il l’aurait laissé faire. Mais elle s’arrêta brusquement ; la pensée de sa fille venait de se présenter à son esprit ; elle ne voulut pas avouer à son mari ce qui l’arrêtait, elle dit simplement :

— Écoute, promets-moi de ne pas chercher à m’empêcher de mourir, le jour où notre vie sera devenue intolérable… Tu me le promets ?

Il promit d’un mouvement de tête. Puis il se leva, il mit son chapeau.