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leur chambre à coucher, elle songeait à ses frissons secrets de la soirée, elle parlait malgré elle du vague effroi que lui causait la protestante.

— Je suis une enfant, disait-elle à son mari avec un sourire contraint, Geneviève m’a effrayée aujourd’hui… Elle murmurait à côté de nous des choses horribles… Ne pourrais-tu pas lui dire d’aller lire sa Bible autre part ?

— Bah ! répondait Guillaume en riant franchement, cela l’irriterait peut-être. Elle croit faire notre salut en nous mettant de moitié dans ses lectures. D’ailleurs, je la prierai demain de lire à voix plus basse.

Madeleine, assise sur le bord du lit, le regard perdu, paraissait revoir les visions évoquées par la fanatique. De légers mouvements agitaient ses lèvres.

— Elle parlait de sang et de colère, reprenait-elle d’une voix lente… Elle n’a pas la bonté indulgente de la vieillesse, elle serait inexorable… Comment peut-elle être si rude en vivant avec nous, dans notre bonheur, dans notre calme ?… Vraiment, Guillaume, il y a des moments où cette femme me fait peur.

Le jeune homme continuait à rire.

— Ma pauvre Madeleine, disait-il en prenant sa femme entre ses bras, tu es nerveuse ce soir. Allons, couche-toi, et ne fais pas de mauvais rêves… Geneviève est une vieille folle, tu as grand tort de t’arrêter à ses litanies funèbres. C’est une habitude à prendre : autrefois, je ne pouvais lui voir ouvrir sa Bible sans être terrifié ; aujourd’hui, il me manquerait quelque chose si elle ne me berçait pas de son murmure monotone… Ne goûtes-tu pas une grande douceur, le soir, à nous aimer dans ce silence frissonnant de plaintes ?

— Si, parfois, répondait la jeune femme, lorsque je ne distingue pas les mots et que la voix se traîne comme un souffle de vent… Mais quels récits d’horreur ! que de crimes et que de châtiments !

— Geneviève, poursuivait Guillaume, est une nature dévouée ; elle nous évite bien des ennuis en dirigeant