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où elle se plaisait et vivait sainement. Ils la voyaient toutes les après-midi, quand ils venaient s’enfermer dans le pavillon. Ils la prenaient avec eux, goûtant une jouissance exquise à mettre cette tête blonde au milieu de leurs souvenirs. La chère fille donnait un parfum d’enfance aux chambres étroites où ils s’étaient aimés, et ils écoutaient, attendris, son babil, dans le recueillement du passé. Lorsqu’ils étaient tous trois réunis au fond de leur retraite, Guillaume prenait sur ses genoux Lucie qui riait de ses lèvres roses et de ses yeux bleus.

— Madeleine, disait-il doucement, voilà le présent, voilà l’avenir.

Et Madeleine avait des sourires calmes. La maternité achevait d’équilibrer son tempérament. Jusque-là, il lui était resté des brusqueries de fille, des gestes fous d’amoureuse ; ses cheveux roux tombaient sur sa nuque avec une libre impudeur ; ses hanches accusaient leurs balancements, et dans ses yeux gris, sur sa bouche rouge, passaient des hardiesses de désir. Maintenant, tout son être s’était apaisé, le mariage avait mis en elle une sorte de maturité précoce ; son corps prenait un léger embonpoint, il avait des mouvements plus doux, plus mesurés ; ses cheveux roux, soigneusement noués, n’étaient plus qu’un admirable signe de force, que de puissants bandeaux encadrant sa face devenue placide. La fille faisait place à la mère, à la femme féconde, assise dans la plénitude de sa beauté. Ce qui donnait surtout à Madeleine sa démarche mesurée, son grand air de paix et de santé, son teint clair et uni comme une eau tranquille, c’était la satisfaction intérieure de son être. Elle se sentait libre, elle vivait fière, satisfaite d’elle-même ; sa nouvelle existence était un milieu favorable dans lequel elle se développait largement. Déjà, pendant les premiers mois qu’elle avait passés à la campagne, elle s’était épanouie en joie et en vigueur ; mais elle avait alors gardé quelque chose de brutal qui maintenant devenait de la sérénité.