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ments tranquilles et forts. Souvent elle entraînait son mari dans la campagne ; ils allaient revoir la Source, ils suivaient l’allée du ruisseau en se rappelant leurs courses d’autrefois ; ou bien ils couraient de nouveau les fermes, s’égarant, s’enfonçant dans les terres, loin des villages. Mais leur pèlerinage le plus cher était d’aller passer l’après-midi à la petite maison que Madeleine avait habitée. Quelques mois après leur mariage, ils avaient acheté cette maison. Ils ne pouvaient s’imaginer qu’elle ne leur appartînt pas, ils éprouvaient un invincible besoin d’y entrer, chaque fois qu’ils passaient devant elle. Quand elle fut à eux, ils se calmèrent, se disant que personne n’irait y chasser les souvenirs de leurs tendresses. Et, lorsque l’air devenait doux, ils s’y rendaient presque chaque jour, pour quelques heures. C’était comme leur maison de campagne, bien qu’elle se trouvât à dix minutes seulement de la Noiraude. Ils y vivaient encore plus solitaires, ayant défendu qu’on vînt jamais les y déranger. Parfois même ils y couchaient. Ces nuits-là, ils oubliaient le monde entier. Souvent Guillaume disait :

— Si quelque malheur nous frappe un jour, nous viendrons oublier ici, nous y serons forts contre la souffrance.

Les mois s’écoulaient ainsi, les saisons succédaient aux saisons. Dès la première année de leur union, ils avaient eu une grande joie. Madeleine était accouchée d’une fille. Guillaume accueillit avec une profonde gratitude cette enfant qu’il aurait pu avoir de sa maîtresse et que lui donnait sa femme légitime. Il vit dans ce retard de la maternité de Madeleine une bonne pensée du ciel. La petite Lucie peupla à elle seule leur solitude. Sa mère, toute forte qu’elle était, ne put la nourrir. Elle lui choisit pour nourrice une jeune femme qui l’avait servie avant son mariage. Cette femme, dont le père dirigeait la ferme voisine de la petite maison, allaita l’enfant aux portes de la Noiraude. Les parents allaient prendre des nouvelles chaque jour. Plus tard, lorsque Lucie eut grandi, ils la laissèrent souvent des semaines entières à la ferme