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Madeleine, elle aussi, se reposait. Elle se reposait délicieusement des troubles de sa vie d’autrefois dans le calme de sa vie présente. Rien ne la blessait plus. Elle pouvait s’estimer, oublier la honte de son passé. Maintenant, elle partageait la fortune de son mari sans scrupule, elle régnait en femme légitime. La solitude de la Noiraude, de ce grand bâtiment noir et délabré, lui plaisait. Elle ne voulut pas que Guillaume fît accommoder le vieux logis à la façon moderne. Elle laissa simplement réparer un appartement au premier étage, ainsi que la salle à manger et le salon du rez-de-chaussée. Les autres pièces restèrent closes. En quatre ans, les époux ne montèrent pas une fois l’escalier jusqu’aux greniers. La jeune femme aimait à sentir tout ce vide autour d’elle ; cela semblait l’isoler davantage, la protéger contre les blessures du dehors. Elle s’oubliait volontiers dans la vaste salle du bas ; il lui tombait du haut du plafond un silence qui la calmait ; les coins pleins d’ombre de cette pièce la faisaient rêver à des immensités de ténèbres paisibles. Le soir, quand la lampe était allumée, elle éprouvait un apaisement profond à se trouver toute petite au milieu de cet infini. Pas un bruit ne venait de la campagne ; un recueillement de cloître, ce recueillement de la province endormie, s’emparait de la Noiraude. Alors Madeleine songeait parfois à une des soirées bruyantes qu’elle avait jadis passées chez Jacques, rue Soufflot ; elle entendait le bruit étourdissant des voitures sur le pavé de Paris, elle voyait les clartés crues des becs de gaz ; elle vivait de nouveau, pendant une seconde, dans la petite chambre d’hôtel pleine de fumée de tabac, de chocs de verres, d’éclats de rire et de baisers. Ce n’était qu’un éclair, comme une bouffée d’air chaud et nauséabond qui la frappait à la face. Elle regardait autour d’elle, épouvantée, étouffant déjà. Et elle respirait en se retrouvant dans la grande salle sombre et déserte ; elle s’éveillait du mauvais rêve, confiante et attendrie, se replongeant, avec une volupté plus grande, au fond de l’ombre et du silence traînant au-