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quitter Lourdes. Les continuelles visites la fatiguaient, elle était mal à l’aise au milieu de ces adorations bruyantes. Elle ne souhaitait qu’un coin d’ombre où elle pût vivre en paix, et son désintéressement, parfois, devenait si farouche, qu’elle jetait par terre l’argent qu’on lui remettait, dans le but pieux d’une messe à dire ou simplement d’un cierge à faire brûler. Jamais elle n’accepta rien pour elle, ni pour sa famille, qui resta pauvre. Avec une telle fierté, une telle simplicité naturelle, si désireuse d’effacement, on comprend très bien qu’elle ait voulu disparaître, se cloîtrer à l’écart, afin de se préparer à une bonne mort… Son œuvre était faite, cet extraordinaire mouvement qu’elle avait mis en branle, sans trop savoir pourquoi ni comment ; et elle n’était vraiment plus utile, d’autres allaient conduire l’affaire et assurer le triomphe de la Grotte.

— Mettons qu’elle soit partie d’elle-même, dit Pierre. Mais quel soulagement pour les gens dont vous parlez, ceux qui, dès lors, ont été les seuls maîtres, sous la pluie des millions tombant du monde entier !

— Ah ! certes, je ne prétends pas qu’on l’ait retenue ! s’écria le docteur. Franchement, je crois même qu’on l’a un peu poussée. Elle finissait par être embarrassante ; non pas qu’on redoutât de sa part des confidences fâcheuses ; mais songez qu’elle n’était guère décorative, timide à l’excès, très souvent alitée. Et puis, si peu de place qu’elle tînt à Lourdes, si obéissante qu’elle se montrât, elle était une puissance, elle attirait les foules, ce qui faisait d’elle comme une concurrence à la Grotte. Pour que la Grotte restât seule, resplendissante dans sa gloire, il était bon que Bernadette s’effaçât, ne fût plus qu’une légende… Telles furent sans doute les raisons qui déterminèrent l’évêque de Tarbes, Mgr Laurence, à hâter le départ. On eut seulement le tort de dire qu’il s’agissait de l’arracher aux entreprises du monde, comme