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tel qu’un amour inextinguible. Il y était revenu inconsciemment, ramené sans doute par la pensée de Marie. Trois heures allaient sonner, les bancs se vidaient, il n’y avait plus là qu’une vingtaine de personnes, des formes noires et perdues, des agenouillements vagues, des extases ensommeillées, tombées à un engourdissement divin. On aurait dit que la nuit, en s’avançant, eût épaissi les ombres, reculé la Grotte dans un lointain de rêve. Tout sombrait au fond d’une lassitude délicieuse, il ne venait plus que du sommeil de l’immense campagne obscure ; tandis que la voix des eaux invisibles était comme le souffle même de ce pur sommeil, où souriait la sainte Vierge toute blanche, auréolée de cierges. Et, parmi les quelques femmes évanouies, madame Maze était toujours à genoux, les mains jointes, la tête basse, si effacée, qu’elle paraissait fondue dans son ardente supplication.

Mais, tout de suite, Pierre s’était approché de Marie. Il grelottait, il s’imaginait qu’elle devait être glacée, à l’approche du matin.

— Je vous en conjure, Marie, couvrez-vous ! Voulez-vous donc souffrir davantage ?

Et il remonta le châle qui avait glissé, il s’efforça de le lui nouer au menton.

— Vous avez froid, Marie. Vos mains sont glacées.

Elle ne répondait pas, elle avait la même attitude que deux heures plus tôt, lorsqu’il s’en était allé. Les coudes appuyés aux bords du chariot, elle se soulevait à demi, dans le même élan vers la sainte Vierge, la face transfigurée, rayonnante d’une joie céleste. Ses lèvres remuaient, sans qu’il en sortît aucun son. Peut-être continuait-elle un entretien mystérieux, au pays de l’enchantement, dans le songe tout éveillé qu’elle faisait, depuis qu’elle se trouvait là. Et il lui parla encore, et elle ne lui répondit toujours pas. Puis, d’elle-même, elle murmura enfin, d’une voix lointaine :