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un peu changé chez elle, depuis un an. Elle est, m’a-t-on dit, embarrassée dans ses affaires. D’ailleurs, on la dit adroite, très intrigante même ; si elle trouve quelque imbécile, elle se tirera des ennuis où elle est. »

La jeune fille s’était remise de l’étrange émotion qui l’avait saisie. Elle poursuivit habilement l’exécution de son projet, sans rien brusquer.

« L’imbécile est trouvé, dit-elle en riant. Ne connaissez-vous pas M. Sauvaire, le patron de Cadet ?

– Un peu, répondit Marius. Je l’ai rencontré parfois en pantoufles sur le port.

– Eh bien ! il est l’amant d’Armande depuis quelques mois... On prétend qu’il a déjà dépensé quelque argent avec elle. »

Puis, d’un ton indifférent, Fine ajouta :

« Pourquoi ne retournez-vous pas chez Armande ?... Vous rencontreriez là des gens riches qui pourraient vous aider dans l’affaire que vous savez... M. Sauvaire serait peut-être tout disposé à vous rendre service. »

Marius devint grave et garda un moment le silence. Il se consultait.

« Bah ! dit-il enfin, vous avez raison... Je ne dois reculer devant aucune tentative... Il faudra demain que j’aille voir cette femme. J’expliquerai ma visite, en lui parlant de mon frère. »

La bouquetière regardait le jeune homme en face, avec de petits battements de paupières.

« Et surtout, reprit-elle en riant d’un rire forcé, n’allez pas rester aux pieds de cette enchanteresse... J’ai souvent entendu parler de ses toilettes riches et savantes, de son esprit, de l’étrange pouvoir qu’elle a sur les hommes. »

Marius, étonné de la voix émue de son amie, lui prit la main et l’examina d’un regard pénétrant.

« Qu’avez-vous donc ? lui demanda-t-il. Ne dirait-on pas que je vais chez le diable et que je suis un pécheur... Ah ! ma pauvre Fine, je suis loin de penser à de pareilles bêtises. J’ai une tâche sacrée à remplir...