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en avais la passion. Je ne dînais pas pour être le premier à la porte, avant l’ouverture des bureaux. C’est là, dans cette salle étroite, que pendant cinq ou six ans j’ai vu défiler tout le répertoire du Gymnase et de la Porte-Saint-Martin. Éducation déplorable et dont je sens toujours en moi l’empreinte ineffaçable. Maudite petite salle ! j’y ai appris comment un personnage doit entrer et sortir ; j’y ai appris la symétrie des coups de scène, la nécessité des rôles sympathiques et moraux, tous les escamotages de la vérité, grâce à un geste ou à une tirade ; j’y ai appris ce code compliqué de la convention, cet arsenal des ficelles qui a fini par constituer chez nous ce que la critique appelle de ce mot absolu « le théâtre ». J’étais sans défense alors, et j’emmagasinais vraiment de jolies choses dans ma cervelle.

On ne saurait croire l’impression énorme que produit le théâtre sur une intelligence de collégien échappé. On est tout neuf, on se façonne là comme une cire molle. Et le travail sourd qui se fait en vous, ne tarde pas à vous imposer cet axiome : la vie est une chose, le théâtre en est une autre. De là, cette conclusion : quand on veut faire du théâtre, il s’agit d’oublier la vie et de manœuvrer ses personnages d’après une tactique particulière, dont on apprend les règles.

Allez donc vous étonner ensuite si les débutants ne lancent pas des pièces originales ! Ils sont déflorés par dix ans de représentations subies. Quand ils évoquent l’idée de théâtre, toute une longue suite de vaudevilles et de mélodrames défilent et les écrasent. Ils ont dans le sang la tradition. Pour se dégager de cette éducation abominable, il leur faut de longs efforts. Certes, je crois qu’un garçon qui n’aurait jamais mis