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qu’ils n’entendent rien du tout au théâtre. On siffle les scènes sur lesquelles ils comptaient, on applaudit celles qu’ils voulaient couper la veille de la première représentation. Toujours, ils marchent dans l’inconnu, au petit bonheur. Leur vie est faite de hasards. Ce qui réussit là, échoue ailleurs ; un soir, un mot porte, le lendemain il ne fait aucun effet. Pas une règle, pas une certitude, la nuit complète.

Que vient-on alors nous parler de don, et donner au don une importance décisive, lorsqu’il n’y a pas une formule stable et lorsque les mieux doués ne sont encore que des écoliers, qui ont du bonheur un jour et qui n’en ont plus le lendemain ! Je sais bien qu’il y a un criterium commode pour la critique : une pièce réussit, l’auteur a le don ; elle tombe, l’auteur n’a pas le don. Vraiment c’est là une façon de s’en tirer à bon compte. Musset n’avait certainement pas le don au degré où le possède M. Sardou ; qui hésiterait pourtant entre les deux répertoires ? Le don est une invention toute moderne. Il est né avec notre mécanique théâtrale. Quand on fait bon marché de la langue, de la vérité, des observations, de la création d’âmes originales, on en arrive fatalement à mettre au-dessus de tout l’art de l’arrangement, la pratique matérielle. Ce sont nos comédies d’intrigue, avec leurs complications scéniques, qui ont donné cette importance au métier. Mais, sans compter que la formule change selon les évolutions littéraires, est-ce que le génie de nos classiques, de Molière et de Corneille, est dans ce métier ? Non, mille fois non ! Ce qu’il faut dire, c’est que le théâtre est ouvert à toutes les tentatives, à la vaste production