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vides, car on emporte un coin d’humanité avec soi, sur lequel on peut rêver indéfiniment.

Mais je n’ai point à louer le Chandelier. Je désire seulement poser côte à côte Marguerite de Bourgogne et Jacqueline. Auprès de la reine parricide et incestueuse, mettez la bourgeoise qui trompe simplement son mari, et demandez-vous pourquoi la seconde révolte une salle, tandis que la première fait le régal du public. C’est que Jacqueline n’est pas en carton, c’est qu’elle est la femme tout entière. On la sent vivre dans ses froides coquetteries, dans la façon dont elle joue de son mari, surtout dans cet éclat de passion qui l’anime et la transfigure au dénouement. Elle vit : dès lors, elle est indécente. Voilà ce que je voulais démontrer.

Que la Tour de Nesle reste dans notre musée dramatique, comme l’expression curieuse de l’art d’une époque, je l’accorde volontiers. Mais que l’on dise aux jeunes auteurs : « Faites-nous des Tour de Nesle, » c’est ce que je me permets de trouver très fâcheux. Certes, il n’est pas un écrivain qui ne préférerait avoir fait le Chandelier. Cette comédie peut manquer complètement de mécanique dramatique, elle n’en a pas moins l’éternelle jeunesse ; elle vivra toujours, aussi fraîche, lorsque la Tour de Nesle sera, depuis longtemps, mangée par la poussière des cartons. A quoi sert donc la fameuse mécanique, que l’on prétend si faussement indispensable, puisqu’elle ne peut pas faire vivre une pièce et qu’une pièce peut vivre sans elle ? Le théâtre est libre.