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je crois, de lui conserver son langage, de même qu’on doit mettre dans la bouche d’un bourgeois ou d’une duchesse des expressions justes. Mais ce n’est là que le côté de forme du grand mouvement littéraire contemporain. Le fond, certes, importe davantage.

Par exemple, au théâtre, c’est un triomphe médiocre que de placer de loin en loin une expression populaire. J’ai remarqué que l’argot fait toujours rire à la scène, lorsqu’on le ménage habilement. Il est beaucoup plus difficile de s’attaquer aux conventions, de faire vivre sur les planches des personnages taillés en pleine réalité, de transporter dans ce monde de carton un coin de la véritable comédie humaine. Cela est même si mal commode que personne n’a encore osé, parmi les nouveaux venus, qui ne sont pourtant pas timides.

Il faut remettre l’argot à sa place. Il peut être une curiosité philologique, une nécessité qui s’impose à un romancier soucieux du vrai. Mais il reste, en somme, une exception, dont il serait ridicule d’abuser. Parce qu’il y a de l’argot dans une œuvre, il ne s’ensuit pas que cette œuvre appartient au mouvement actuel. Au contraire, il faut se méfier, car rien n’est un voile plus complaisant qu’une forme pittoresque ; on cache là-dessous toutes les erreurs imaginables.

Ce qu’il faut demander avant tout à une œuvre, que le romancier ait cru devoir prendre la plume d’Henri Monnier ou celle de Bossuet, c’est d’être une étude exacte, une analyse sincère et profonde. Quand les personnages sont plantés carrément sur leurs pieds et vivent d’une vie intense, ils parlent d’eux-mêmes la langue qu’ils doivent parler.