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regardez attentivement les acteurs qui la brûlent. Vous reconnaîtrez en eux les comédiens pompeux du dix-septième siècle, ceux qui sont les pères de l’art dramatique en France. Les entrées souvent sont accompagnées d’un coup de talon pour annoncer et mieux asseoir le personnage. Les effets sont continués au delà du vraisemblable, dans l’unique but d’occuper toute la scène et de forcer les applaudissements. Ce sont des jeux de physionomie adressés au public, des poses de bel homme, la cuisse tendue, la tête tournée et maintenue dans une position avantageuse. Ils ne marchent plus, ne parlent plus, ne toussent plus comme à la ville. On voit qu’ils sont en représentation, et que leur effort le plus immédiat est de n’être pas comme tout le monde, de façon à étonner les bourgeois. Il y a un Grec ou un Romain du grand siècle, dans les paillasses de foire, qui tendent le derrière au coups de pied.

Oui, la tradition a cette force. Elle est pareille au sable fin qui filtre quand même et sans relâche par les fissures les plus minces. La source en est déjà disparue lorsque les effets en subsistent encore. Ces effets peuvent être méconnaissables, transformés, déviés, ils n’existent pas moins, ils n’en sont pas moins tout puissants. Si, aujourd’hui, notre théâtre désespère les amis de la nature, la faute en est aux ancêtres, à la lente éducation de nos comédiens, que la tradition éloigne du vrai.

Un art ne se forme pas en un jour. Aussi, quand il est formé, a-t-il une solidité de roc dans la routine. Cela explique comment il est si difficile d’innover, de changer la direction suivie par plusieurs générations. Aujourd’hui, le besoin de vérité se fait sentir, au théâtre