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LES ROUGON-MACQUART.

lui donnant le bout de chaîne auquel il travaillait depuis le déjeuner. Tu peux la dresser.

Et il ajouta, avec l’insistance d’un homme qui ne lâche pas aisément une plaisanterie :

— Encore quatre pieds et demi… Ça me rapproche de Versailles.

Cependant, madame Lorilleux, après l’avoir fait recuire, dressait la colonne, en la passant à la filière de réglage. Elle la mit ensuite dans une petite casserole de cuivre à long manche, pleine d’eau seconde, et la dérocha au feu de la forge. Gervaise, de nouveau poussée par Coupeau, dut suivre cette dernière opération. Quand la chaîne fut dérochée, elle devint d’un rouge sombre. Elle était finie, prête à livrer.

— On livre en blanc, expliqua encore le zingueur. Ce sont les polisseuses qui frottent ça avec du drap.

Mais Gervaise se sentait à bout de courage. La chaleur, de plus en plus forte, la suffoquait. On laissait la porte fermée, parce que le moindre courant d’air enrhumait Lorilleux. Alors, comme on ne parlait pas toujours de leur mariage, elle voulut s’en aller, elle tira légèrement la veste de Coupeau. Celui-ci comprit. Il commençait, d’ailleurs, à être également embarrassé et vexé de cette affectation de silence.

— Eh bien, nous partons, dit-il. Nous vous laissons travailler.

Il piétina un instant, il attendit, espérant un mot, une allusion quelconque. Enfin, il se décida à entamer les choses lui-même.

— Dites donc, Lorilleux, nous comptons sur vous, vous serez le témoin de ma femme.

Le chaîniste leva la tête, joua la surprise, avec un ricanement ; tandis que sa femme, lâchant les filières, se plantait au milieu de l’atelier.