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LES ROUGON-MACQUART.

deux minutes, les yeux fixés sur Coupeau. Puis, il haussa les épaules, en ajoutant :

— Le même traitement, bouillon, lait, limonade citrique, extrait mou de quinquina en potion… Ne le quittez pas, et faites-moi appeler.

Il sortit, Gervaise le suivit, pour lui demander s’il n’y avait plus d’espoir. Mais il marchait si raide dans le corridor, qu’elle n’osa pas l’aborder. Elle resta plantée là un instant, hésitant à rentrer voir son homme. La séance lui semblait déjà joliment rude. Comme elle l’entendait crier encore que la limonade sentait l’eau-de-vie, ma foi ! elle fila, ayant assez d’une représentation. Dans les rues, le galop des chevaux et le bruit des voitures lui firent croire que tout Sainte-Anne était à ses trousses. Et ce médecin qui l’avait menacée ! Vrai, elle croyait déjà avoir la maladie.

Naturellement, rue de la Goutte-d’Or, les Boche et les autres l’attendaient. Dès qu’elle parut sous la porte, on l’appela dans la loge. Eh bien ! est-ce que le père Coupeau durait toujours ? Mon Dieu ! oui, il durait toujours. Boche semblait stupéfait et consterné : il avait parié un litre que le père Coupeau n’irait pas jusqu’au soir. Comment ! il durait encore ! Et toute la société s’étonnait, en se tapant sur les cuisses. En voilà un gaillard qui résistait ! Madame Lorilleux calcula les heures : trente-six heures et vingt-quatre heures, soixante heures. Sacré mâtin ! soixante heures déjà qu’il jouait des quilles et de la gueule ! On n’avait jamais vu un pareil tour de force. Mais Boche, qui riait jaune à cause de son litre, questionnait Gervaise d’un air de doute, en lui demandant si elle était bien sûre qu’il n’eût pas défilé la parade derrière son dos. Oh ! non, il sautait trop fort, il n’en avait pas envie. Alors, Boche, insistant