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LES ROUGON-MACQUART.

Virginie, assise au comptoir, l’air soucieux en face des bocaux et des tiroirs qui se vidaient, hocha furieusement la tête. Elle se retenait, pour ne pas en lâcher trop long ; car ça finissait par sentir mauvais. Lantier voyait Nana bien souvent. Oh ! elle n’en aurait pas mis la main au feu, il était homme à faire pire, quand une jupe lui trottait dans la tête. Madame Lerat, qui venait d’entrer, très liée en ce moment avec Virginie dont elle recevait les confidences, fit sa moue pleine de gaillardise, en demandant :

— Dans quel sens l’avez-vous vue ?

— Oh ! dans le bon sens, répondit le chapelier, très flatté, riant et frisant ses moustaches. Elle était en voiture ; moi, je pataugeais sur le pavé… Vrai, je vous le jure ! Il n’y aurait pas à se défendre, car les fils de famille qui la tutoient de près sont bigrement heureux !

Son regard s’était allumé, il se tourna vers Gervaise, debout au fond de la boutique, en train d’essuyer un plat.

— Oui, elle était en voiture, et une toilette d’un chic !… Je ne la reconnaissais pas, tant elle ressemblait à une dame de la haute, les quenottes blanches dans sa frimousse fraîche comme une fleur. C’est elle qui m’a envoyé une risette avec son gant… Elle a fait un vicomte, je crois. Oh ! très lancée ! Elle peut se ficher de nous tous, elle a du bonheur par-dessus la tête, cette gueuse !… L’amour de petit chat ! non, vous n’avez pas idée d’un petit chat pareil !

Gervaise essuyait toujours son plat, bien qu’il fût net et luisant depuis longtemps. Virginie réfléchissait, inquiète de deux billets qu’elle ne savait pas comment payer le lendemain ; tandis que Lantier, gros et gras, suant le sucre dont il se nourrissait, emplissait