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LES ROUGON-MACQUART.

dans la bouche de Virginie. Alors, celle-ci eut un rire complaisant. Puis, elle tourna sa colère contre la laveuse.

— Dépêchez-vous un peu, n’est-ce pas ? Ça n’avance guère la besogne, de rester là comme une borne… Voyons, remuez-vous, je n’ai pas envie de patauger dans l’eau jusqu’à ce soir.

Et elle ajouta plus bas, méchamment :

— Est-ce que c’est ma faute si sa fille fait la noce !

Sans doute, Gervaise n’entendit pas. Elle s’était remise à frotter le parquet, l’échine cassée, aplatie par terre et se traînant avec des mouvements engourdis de grenouille. De ses deux mains, crispées sur le bois de la brosse, elle poussait devant elle un flot noir, dont les éclaboussures la mouchetaient de boue, jusque dans ses cheveux. Il n’y avait plus qu’à rincer, après avoir balayé les eaux sales au ruisseau.

Cependant, au bout d’un silence, Lantier qui s’ennuyait haussa la voix.

— Vous ne savez pas, Badingue, cria-t-il, j’ai vu votre patron hier, rue de Rivoli. Il est diablement ravagé, il n’en a pas pour six mois dans le corps… Ah ! dame ! avec la vie qu’il fait !

Il parlait de l’empereur. Le sergent de ville répondit d’un ton sec, sans lever les yeux :

— Si vous étiez le gouvernement, vous ne seriez pas si gras.

— Oh ! mon bon, si j’étais le gouvernement, reprit le chapelier en affectant une brusque gravité, les choses iraient un peu mieux, je vous en flanque mon billet… Ainsi, leur politique extérieure, vrai ! ça fait suer, depuis quelque temps. Moi, moi qui vous parle, si je connaissais seulement un journaliste, pour l’inspirer de mes idées…