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L’ASSOMMOIR.

— Mademoiselle Lisa, mon feu est éteint, passez-moi le vôtre.

— Ah ! le feu de madame Lerat qui est éteint ! cria l’atelier.

Elle voulut commencer une explication.

— Quand vous aurez mon âge, mesdemoiselles…

Mais on ne l’écoutait pas, on parlait d’appeler le monsieur pour rallumer le feu de madame Lerat.

Dans cette bosse de rires, Nana rigolait, il fallait voir ! Aucun mot à double entente ne lui échappait. Elle en lâchait elle-même de raides, en les appuyant du menton, rengorgée et crevant d’aise. Elle était dans le vice comme un poisson dans l’eau. Et elle roulait très bien ses queues de violettes, tout en se tortillant sur sa chaise. Oh ! un chic épatant, pas même le temps de rouler une cigarette. Rien que le geste de prendre une mince bande de papier vert, et, allez-y ! le papier filait et enveloppait le laiton ; puis, une goutte de gomme en haut pour coller, c’était fait, c’était un brin de verdure frais et délicat, bon à mettre sur les appas des dames. Le chic était dans les doigts, dans ses doigts minces de gourgandine, qui semblaient désossés, souples et câlins. Elle n’avait pu apprendre que ça du métier. On lui donnait à faire toutes les queues de l’atelier, tant elle les faisait bien.

Cependant, le monsieur du trottoir d’en face s’en était allé. L’atelier se calmait, travaillait dans la grosse chaleur. Quand sonna midi, l’heure du déjeuner, toutes se secouèrent. Nana, qui s’était précipitée vers la fenêtre, leur cria qu’elle allait descendre faire les commissions, si elles voulaient. Et Léonie lui commanda deux sous de crevettes, Augustine un cornet de pommes de terre frites, Lisa une botte de radis, Sophie une saucisse. Puis, comme elle descendait, ma-