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L’ASSOMMOIR.

Le croque-mort s’éloigna, mais on l’entendit longtemps sur le trottoir, qui bégayait :

— De quoi, les principes !… Il n’y a pas de principes… il n’y a pas de principes… il n’y a que l’honnêteté !

Enfin, dix heures sonnèrent. Le corbillard était en retard. Il y avait du monde dans la boutique, des amis et des voisins, M. Madinier, Mes-Bottes, madame Gaudron, mademoiselle Remanjou ; et, toutes les minutes, entre les volets fermés, par l’ouverture béante de la porte, une tête d’homme ou de femme s’allongeait, pour voir si ce lambin de corbillard n’arrivait pas. La famille, réunie dans la pièce du fond, donnait des poignées de main. De courts silences se faisaient, coupés de chuchotements rapides, une attente agacée et fiévreuse, avec des courses brusques de robe, madame Lorilleux qui avait oublié son mouchoir, ou bien madame Lerat qui cherchait un paroissien à emprunter. Chacun, en arrivant, apercevait au milieu du cabinet, devant le lit, la bière ouverte ; et, malgré soi, chacun restait à l’étudier du coin de l’œil, calculant que jamais la grosse maman Coupeau ne tiendrait là dedans. Tout le monde se regardait, avec cette pensée dans les yeux, sans se la communiquer. Mais, il y eut une poussée à la porte de la rue. M. Madinier vint annoncer d’une voix grave et contenue, en arrondissant les bras :

— Les voici !

Ce n’était pas encore le corbillard. Quatre croque-morts entrèrent à la file, d’un pas pressé, avec leurs faces rouges et leurs mains gourdes de déménageurs, dans le noir pisseux de leurs vêtements, usés et blanchis au frottement des bières. Le père Bazouge marchait le premier, très soûl et très convenable ; dès