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LES ROUGON-MACQUART.

étaient là, pelotonnées, pliées en deux, les mains sous leur tablier, le nez au-dessus du feu, à causer très bas, dans le grand silence du quartier. Madame Lorilleux geignait : elle n’avait pas de robe noire, elle aurait pourtant voulu éviter d’en acheter une, car ils étaient bien gênés, bien gênés ; et elle questionna Gervaise, demandant si maman Coupeau ne laissait pas une jupe noire, cette jupe qu’on lui avait donnée pour sa fête. Gervaise dut aller chercher la jupe. Avec un pli à la taille, elle pourrait servir. Mais madame Lorilleux voulait aussi du vieux linge, parlait du lit, de l’armoire, des deux chaises, cherchait des yeux les bibelots qu’il fallait partager. On manqua se fâcher. Madame Lerat mit la paix ; elle était plus juste : les Coupeau avaient eu la charge de la mère, ils avaient bien gagné ses quatre guenilles. Et, toutes trois, elles s’assoupirent de nouveau au-dessus du poêle, dans des ragots monotones. La nuit leur semblait terriblement longue. Par moments, elles se secouaient, buvaient du café, allongeaient la tête dans le cabinet, où la chandelle, qu’on ne devait pas moucher, brûlait avec une flamme rouge et triste, grossie par les champignons charbonneux de la mèche. Vers le matin, elles grelottaient, malgré la forte chaleur du poêle. Une angoisse, une lassitude d’avoir trop causé, les suffoquaient, la langue sèche, les yeux malades. Madame Lerat se jeta sur le lit de Lantier et ronfla comme un homme ; tandis que les deux autres, la tête tombée et touchant les genoux, dormaient devant le feu. Au petit jour, un frisson les réveilla. La chandelle de maman Coupeau venait encore de s’éteindre. Et, comme, dans l’obscurité, le ruissellement sourd recommençait, madame Lorilleux donna l’explication à voix haute, pour se tranquilliser elle-même.