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LES ROUGON-MACQUART.

une pièce de vingt sous, qu’elle dépensait en gourmandises. Elle faisait aussi des cancans abominables avec les Lorilleux, en leur racontant à quoi passaient leurs dix francs, aux fantaisies de la blanchisseuse, des bonnets neufs, des gâteaux mangés dans les coins, des choses plus sales même qu’on n’osait pas dire. À deux ou trois reprises, elle faillit faire battre toute la famille. Tantôt elle était avec les uns, tantôt elle était avec les autres ; enfin, ça devenait un vrai gâchis.

Au plus fort de sa crise, cet hiver-là, une après-midi que madame Lorilleux et madame Lerat s’étaient rencontrées devant son lit, maman Coupeau cligna les yeux, pour leur dire de se pencher. Elle pouvait à peine parler. Elle souffla, à voix basse :

— C’est du propre !… Je les ai entendus cette nuit. Oui, oui, la Banban et le chapelier… Et ils menaient un train ! Coupeau est joli. C’est du propre !

Elle raconta, par phrases courtes, toussant et étouffant, que son fils avait dû rentrer ivre-mort, la veille. Alors, comme elle ne dormait pas, elle s’était très bien rendu compte de tous les bruits, les pieds nus de la Banban trottant sur le carreau, la voix sifflante du chapelier qui l’appelait, la porte de communication poussée doucement, et le reste. Ça devait avoir duré jusqu’au jour, elle ne savait pas l’heure au juste, parce que, malgré ses efforts, elle avait fini par s’assoupir.

— Ce qu’il y a de plus dégoûtant, c’est que Nana aurait pu entendre, continua-t-elle. Justement, elle a été agitée toute la nuit, elle qui d’habitude dort à poings fermés ; elle sautait, elle se retournait, comme s’il y avait eu de la braise dans son lit.

Les deux femmes ne parurent pas surprises.