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L’ASSOMMOIR.

méro un… Je lui ai pourtant allongé de fameux coups de pied, sous la table.

La soirée était gâtée. On devint de plus en plus aigre. M. Madinier proposa de chanter ; mais Bibi-la-Grillade, qui avait une belle voix, venait de disparaître ; et mademoiselle Remanjou, accoudée à une fenêtre, l’aperçut, sous les acacias, faisant sauter une grosse fille en cheveux. Le cornet à pistons et les deux violons jouaient, « le Marchand de moutarde, » un quadrille où l’on tapait dans ses mains, à la pastourelle. Alors, il y eut une débandade : Mes-Bottes et le ménage Gaudron descendirent ; Boche lui-même fila. Des fenêtres, on voyait les couples tourner, entre les feuilles, auxquelles les lanternes pendues aux branches donnaient un vert peint et cru de décor. La nuit dormait, sans une haleine, pâmée par la grosse chaleur. Dans la salle, une conversation sérieuse s’était engagée entre Lorilleux et M. Madinier, pendant que les dames, ne sachant plus comment soulager leur besoin de colère, regardaient leurs robes, cherchant si elles n’avaient pas attrapé des taches.

Les effilés de madame Lerat devaient avoir trempé dans le café. La robe écrue de madame Fauconnier était pleine de sauce. Le châle vert de maman Coupeau, tombé d’une chaise, venait d’être retrouvé dans un coin, roulé et piétiné. Mais c’était surtout madame Lorilleux qui ne décolérait pas. Elle avait une tache dans le dos, on avait beau lui jurer que non, elle la sentait. Et elle finit, en se tordant devant une glace, par l’apercevoir.

— Qu’est-ce que je disais ? cria-t-elle. C’est du jus de poulet. Le garçon payera la robe. Je lui ferai plutôt un procès… Ah ! la journée est complète. J’aurais mieux fait de rester couchée… Je m’en